L'histoire du gros son racontée en schémas
24 Feb 2015Maintenant qu'on a revu certaines bases de l'électronique, on va pouvoir parler de sujets plus funs !
Et pour commencer, je te propose d'étudier l'évolution des circuits d'amplis guitare depuis les 60's, en particulier les amplis utilisés pour les sons saturés.
En amplification guitare comme dans beaucoup de domaines, il n'y a eu aucune révolution en plus de 50 ans, mais seulement de petites améliorations, les différents constructeurs n'ayant fait que copier ce que faisaient leurs prédécesseurs en y ajoutant, parfois, une amélioration intéressante.
Dans cet article, l'idée est de voir dans quelle mesure la structure des amplis a évolué, pas de faire une analyse complète des schémas correspondants. Je tacherai tout de même d'expliciter les points les plus intéressants.
Au commencement...
... était le Bassman ! Ce n'était pas le premier ampli de Leo Fender, mais celui-ci, en particulier le modèle 5F6 introduit en 1958, est particulièrement intéressant, puisqu'il est à l'origine des premiers Marshall. On peut donc le considérer comme l'ancêtre de tous les amplis hi-gain !
Ce Bassman reprend la structure classique des Fender de l'époque, avec 2 canaux disposant chacun de leur contrôle de volume, et une EQ 3 bandes commune aux 2 canaux, tout comme le réglage de présence.
En entrée on retrouve un circuit classique qui a traversé le temps, puisqu'encore aujourd'hui, beaucoup d'amplis ont les 2 entrées "High" et "Low" (ou "1" et "2", ou autre, la dénomination n'a pas d'importance) cablées de cette façon !
Les connecteurs utilisés sont des jacks mono à coupure : quand un jack est inséré, le contact entre le point chaud (signal) et le pin de la coupure est rompu. La coupure est reliée, sur J1, à la jonction R2/R3, et sur J2 directement à la masse.
Concrètement, avec un jack inséré dans l'entrée High, le signal "voit" R3, qui détermine l'impédance d'entrée de l'ampli, puis traverse R1 et R2 qui sont mises en parallèle via la coupure de J1 (dans lequel aucun jack n'est inséré). Quand on se branche sur l'entrée Low par contre, R3 est court-circuitée par la coupure de J2. Le signal ne voit donc que R1 et R2 en série, qui forment un pont diviseur ayant un facteur d'atténuation de 2, ou encore un gain de -6dB ; au passage, l'impédance d'entrée de l'ampli passe à 136kΩ, ce qui est bien insuffisant pour une guitare électrique (cf. l'article à ce sujet), on peut donc s'attendre, en plus de l'atténuation du signal, à une perte d'aigus significative ! En clair, quand on branche une gratte passive dans cette entrée, le son sera faiblard et mou...
Pour ce qui est du préamp proprement dit, l'étage d'entrée est une 12AY7. Celle-ci fournit un gain de 30dB environ, avec une sensibilité de 2.5V, c'est à dire qu'elle commencera à saturer quand l'amplitude du signal dépassera 2.5V. Sachant qu'un micro guitare relativement puissant sort une amplitude de l'ordre de 1V, ça laisse un peu de marge... Par contre en sortie, l'amplitude du signal sera multipliée par un facteur 34, donc pour 1V en entrée, on aura 34V en sortie !
Ça peut sembler énorme, mais à l'époque, Leo Fender testait ses amplis avec les guitares qu'il avait sous la main, donc des Tele et Strat dont les micros, à l'époque, avaient un niveau de sortie ridicule en comparaison de ce que peuvent fournir des guitares modernes ! En tablant sur un signal d'amplitude 100mV en entrée, on ne retrouve "que" 3.4V après l'étage de gain, ce qui est déjà plus raisonnable.
Les potars de volume de chaque canal sont utilisés très classiquement en pont diviseur, avec un condo ajouté sur le canal "Bright", de façon à former un high shelf : les hautes fréquences passent librement, alors que les basses fréquences sont atténuées par le potar. La fréquence à partir de laquelle les hautes fréquences peuvent passer diminue quand on monte le potar : à faible volume, il n'y a donc que les extrêmes aigus qui passent, alors qu'à fort volume c'est toute la bande des mediums et au-delà qui est mise en avant.
Ce potar, comme quasiment toujours pour les réglages de gain et de volume, est logarithmique, ce qui signifie qu'à la moitié, la partie haute du pont diviseur vaudra 90% de sa valeur totale, alors que la résistance de pied n'en vaudra que 10%. Dans le cas du Bassman, ça correspondrait à une résistance de 900kΩ en parallèle de C2, et une résistance de 100kΩ allant à la masse. On a donc une atténuation de base de -20dB. Par contre, C2 forme un filtre passe-haut avec la résistance de pied du potar, donc la fréquence de coupure de ce filtre est de 1590Hz.
Avec le potar à moitié, on peut donc considérer que le signal, en sortie de l'étage d'entrée, sera atténué de -20dB pour les fréquences basses et mediums, mais restera inchangé au-dessus de 1.6kHz, ce qui revient finalement à booster les aigus de 20dB par rapport aux fréquences plus basses !
Ce canal a donc tendance à sonner acide à faible volume, et gagne du corps à mesure qu'on monte le son. Peut-être une piste pour trouver l'origine du mythe selon lequel un ampli à lampes ne sonne bien qu'à fort volume, voire tout à fond ? ;)
Un dernier point à noter est la présence de résistances de 270kΩ en sortie de chaque réglage de volume : celles-ci font office de mélangeur quand on utilise les 2 canaux simultanément. Mais si un seul canal est utilisé, par exemple le canal "Bright", elles forment aussi un pont diviseur dont la valeur dépend de la position du potar de volume du canal "Normal" :
- si ce dernier est à zéro, le pont diviseur est seulement constitué des 2 résistances de 270kΩ ; le signal est donc divisé par 2, soit -6dB
- au contraire, si le volume du canal "Normal" est à fond, sa valeur est ajoutée au pont diviseur, qui est donc vu comme l'association d'une résistance de 270kΩ et d'une autre de 1270kΩ (les 1MΩ du potar en série avec les 270kΩ de la résistance) ; dans ce cas, le signal est divisé seulement par 1.21 soit -1.67dB
La position du potar du canal inutilisé peut donc faire une différence de plus de 4dB sur le signal arrivant à l'étage de gain suivant. Les guitaristes de l'époque ont su trouver la solution à ce problème : tout à fond !
L'étage de gain suivant utilise une 12AX7, dont le gain est ici de 35dB (facteur 60) pour une sensibilité d'entrée de 1.2V. Si on s'intéresse maintenant au gain global entre l'entrée high d'un canal et l'entrée de V2, en considérant que le potar de volume du canal utilisé est à la moitié, et que celui de l'autre canal est à 0, on trouve que :
- sur le canal Bright, le signal est boosté de +4dB dans les fréquences basses et mediums, et de +24dB au-delà de 1.6kHz
- sur le canal Normal, le signal est boosté de +4dB sur toute la plage de fréquences
Avec 100mV en entrée, ça se traduit par une amplitude de signal de 160mV arrivant à V2, et 1.6V pour les fréquences supérieures à 1.6kHz quand on joue sur le canal Bright. La sensibilité de V2 étant d'environ 1.2V, on aura donc une très légère saturation des aigus, mais le signal restera globalement clean. En prenant en compte le gain de V2 et l'atténuation de l'EQ (on va prendre -20dB pour simplifier les calculs), on se retrouve avec 0.6V en entrée de poweramp, et jusqu'à plus de 6V dans les aigus. La sensibilité de la section puissance étant de 2.3V, on commence donc réellement à saturer dans les haut-mediums/aigus, tout en gardant des basses bien propres. Pour un tel ampli, c'est donc le poweramp qui sature en premier, la saturation du préamp n'arrivant que plus tard !
Au passage, avec des humbuckers, on se retrouve facilement avec 0.6V (6V dans les aigus) en entrée de V2 pour des micros vintage, et 1.6V/16V pour des micros modernes ! On comprend donc que la saturation sera alors beaucoup plus franche, en ayant toujours les potars de volume réglés à la moitié !
Marshall JTM45 et Plexi
Vu les bastons récurrentes entre adeptes des sons "British" et "US", il est difficile d'imaginer qu'à l'origine, il n'y avait quasiment aucune différence entre un Marshall et un Fender ! Et pourtant, le schéma du JTM45 est là pour le prouver :
Ce schéma est celui du modèle équipé d'un tremolo, tu peux donc ignorer tranquillement toute la partie située en bas à gauche. Une fois redessiné pour ne voir que le préamp, on retrouve exactement le schéma du Bassman, à 2 petites exceptions près :
Par rapport au Bassman, on a donc :
- plus de gain au niveau de V1A et V1B (+4dB par étage) ; Jim Marshall ne s'est pas trop embêté et a simplement remplacé la 12AY7 du schéma d'origine, qui a un gain moyen, par une 12AX7 à fort gain
- C21 fait son apparition, et a pour effet de renforcer encore plus les hautes fréquences : comme R7, R8 et P2 forment un pont diviseur, l'ajout de C21 offre une sorte de "voie rapide" aux aigus, tout comme C2 sur le potar de volume
Le JTM45 offrira donc un peu plus de saturation que le Bassman, tout accentuant légèrement les différences entre les 2 canaux : le canal Bright sera un peu plus brillant, et le canal Normal sera un peu plus sombre.
Si on prend l'ampli dans sa globalité, on note bien sur d'autres différences par rapport au "papa", la plus importante étant l'utilisation de KT66 (fabriquées en Europe) comme lampes de puissance, au lieu des 6L6GC, qui sont des lampes américaines ; ce choix est donc purement pragmatique et a été fait uniquement pour simplifier l'approvisionnement en composants.
Ce qu'on ne voit pas sur le schéma par contre, ce sont les baffles ! Le Bassman Tweed était un combo ouvert avec 4 Jensen AlNiCo en 10", alors que le Marshall crachait ses watts dans un baffle fermé équipé de 4 Celestion 12". Et quand on connait l'importance des HP pour un ampli guitare, on se doute que finalement, branchés sur des baffles identiques, ces amplis ne sonneraient pas très différemment l'un de l'autre ;)
Le JTM45 a eu le succès qu'on lui connait, et pendant quelques années a lentement évolué pour aboutir à l'un des amplis de référence de chez Marshall : le modèle Lead de la série JMP, souvent appelé "Plexi" en raison de ses façades recouvertes d'un plastique transparent.
Le schéma du Plexi n'est pas très différent de celui du JTM45 finalement :
Hors du préamp, les différences notables concernent l'utilisation des EL34 en puissance, et surtout, de diodes au silicium pour le redressement de l'alimentation au lieu d'une lampe rectifieuse auparavant. Le transformateur d'alimentation étant le même, cette modification a pour conséquence d'augmenter les tensions d'alimentation de l'ampli : en effet, les diodes au silicium provoquent une chute de tension bien moindre que leurs homologues en verre.
Cette tension supérieure va avoir 2 conséquences : l'augmentation de la puissance à 50W au lieu de 45, et surtout, un son plus dynamique et agressif, surtout à fort volume. Mais comprend bien que ces effets ne sont pas dus à un quelconque et hypothétique effet magique des rectifieuses sur le son : c'est simplement la chute de tension moindre des diodes silicium qui peut l'expliquer. On peut même facilement retrouver le comportement de la rectifieuse, et donc le son du JTM45, en ajoutant simplement une résistance de faible valeur (100 à 250Ω) derrière les diodes de redressement !
Maintenant que les bases sont posées, voyons un peu comment se compare le préamp de ce modèle par rapport au précédent :
Oui, dans les grandes lignes, pas grand chose ne change. Si on s'intéresse aux détails par contre, il y a 2-3 petits trucs intéressants !
D'abord, les valeurs de C1, C2, R7 et R8 évoluent. En l'occurrence, C1, qui forme un filtre passe-haut avec P1, coupait les basses à partir de 7Hz ; maintenant c'est à 72Hz, sachant que le Mi grave d'une guitare a une fréquence de 82Hz. Ce n'est pas très éloigné, et à l'usage on se rend effectivement compte que l'ampli est moins rond, que les basses sont moins profondes.
Dans le même temps, C2, dont on a vu qu'il permettait de booster les aigus, voit sa valeur augmenter. Ainsi, la fréquence à partir de laquelle les aigus sont mis en avant diminue, on laisse donc passer plus de fréquences dans les mediums. Avec le volume à moitié, cette fréquence est de l'ordre de 300Hz, c'est donc quasiment toute la bande mediums qui est boostée au même titre que les aigus : ce canal gagne donc énormément en présence.
Enfin, R7 et R8 sont quasiment doublées, ce qui a un effet similaire à l'augmentation de valeur de C2 : si on se concentre à nouveau sur le high shelf formé avec C21 en ayant le volume du canal Normal à 0, la fréquence à partir de laquelle le signal est boosté passe ainsi aux environs de 600Hz. En cumulant ces modifications, on comprend bien que le canal Bright va être vraiment très agressif, en particulier à faible volume.
Et histoire d'enfoncer le clou, un point n'apparait pas sur mon schéma : le gain de V1A et V2 n'est pas constant ! Aux hautes fréquences il vaut bien 35dB, mais :
- pour V1A, ce gain tombe à 26dB en-dessous de 600Hz (-9dB)
- pour V2, il est de 31dB sous 800Hz (-4dB)
Donc si on récapitule, avec le potar de volume à moitié sur le canal Bright et à 0 sur le canal Normal, le gain entre l'entrée de V1A et l'entrée de V2 vaut :
- 0dB jusqu'à 300Hz : les basses et une petite partie du bas-medium ne sont pas amplifiés
- +20dB jusqu'à 600Hz
- +35dB au-delà
Garde tout de même en tête que ces valeurs sont approximatives et qu'il s'agit ici surtout de comprendre en gros comment fonctionne ce canal.
La conséquence de tout ça est que les basses ne feront pas saturer V2 et vont donc rester "propres", voire même un peu faiblardes si ce canal est utilisé seul, alors que les aigus vont violemment lui rentrer dans le lard, lui permettant ainsi de générer un gros paquet d'harmoniques ! Le signal étant du coup fortement compressé dans les hautes fréquences, le signal sortant de V2 sera plus équilibré qu'en y arrivant.
Pas étonnant que cet ampli soit devenu la référence du son rock !
Enfin, on notera un dernier changement au niveau de l'EQ :
Les valeurs de R9 et C4 évoluent aussi :
- C4 passe de 250 à 500pF ; la "zone d'action" du potar d'aigus descend donc un peu dans les haut-mediums
- plus important encore, R9 passe de 56 à 33kΩ ; ce changement a pour effet de booster les bas-mediums par rapport au JTM45, qui est justement la bande de fréquence apportant la sensation de "chaleur"
Et voici donc ce qui a rendu le son Marshall si caractéristique à l'époque : plus de saturation, plus de présence et un son plus gras !
JCM800
Dans les 70's, tout le monde, y compris les fabricants d'amplis, a intégré le fait que les guitaristes veulent de la disto. Mais avec les vieux amplis, difficile d'avoir une bonne saturation sans se rendre sourd !
C'est dans ce contexte que Marshall sort ce qui sera le fer de lance de la série JCM800 : le modèle 2203 Master Volume, qui introduit pas mal d'évolutions intéressantes qui feront de cet ampli la référence incontournable des années 80 :
Ça ressemble déjà moins au Plexi, et les différences devraient te sauter aux yeux :
La première différence marquante apparait dans le cablage des entrées : ici, utiliser l'entrée High ajoute carrément un étage de gain supplémentaire !
En effet, en entrant par l'entrée High, le signal est d'abord amplifié par V1A, puis "traverse" l'entrée Low sans modification, et attaque ensuite le reste du circuit. Quand on utilise l'entrée Low, au contraire, cet étage de gain est tout simplement zappé ; la différence de gain entre les 2 entrées n'est donc plus de 6dB, mais de 35dB ! On aura donc 2 niveaux de saturation très différents selon qu'on utilise une entrée ou l'autre.
Le montage autour du réglage de volume, rebaptisé "Gain" (sur les Marshall, c'est en fait "Preamp Volume"), est aussi légèrement différent de ce qu'on trouvait sur les Plexis : en particulier, l'ensemble résistance de 470kΩ/condensateur de 500pF qu'on trouvait après le potar de volume est maintenant placé avant celui-ci :
On a donc un premier high shelf formé par R3, C2 et P1, et un second formé par P1 et C3. Le premier présente une atténuation de -3.5dB dans les basses, et une fréquence charnière à environ 300Hz, c'est donc toute la bande des mediums et des aigus qui est légèrement boostée. Pour le second high shelf, si on met là aussi le potar à la moitié, on aura une atténuation de -20dB dans les basses, les aigus étant boostés à partir de 1.6kHz.
Derrière V1B, on retrouve un autre high shelf, avec une atténuation de -6dB dans les basses, et une fréquence centrale autour de 650Hz, ce qui va encore booster les haut-mediums/aigus. Et surtout, on attaque un 3ème étage de gain, qui va lui aussi saturer !
C'est le principe de base des amplis high gain : au lieu d'essayer de faire saturer très fortement un seul étage, on va les multiplier pour cumuler la saturation de chaque étage !
Au final, entre l'entrée du préamp et l'entrée de V2, on a un gain de :
- +23.5dB dans les basses et jusqu'à 300Hz
- +27dB jusqu'à 600Hz
- +33dB jusqu'à 1.6kHz
- +53dB au-delà !
Dans la pratique, la saturation va compresser le signal dans les hautes fréquences, la différence ne sera donc pas aussi marquée, mais le son sera tout de même très chargé en haut-mediums et aigus, ce qui confère à cet ampli une présence diabolique !
Enfin, une dernière innovation de ce modèle, et pas la moindre, est son "Master Volume", qui permet, au choix, de faire saturer totalement le préampli en gardant un volume de sortie raisonnable, ou au contraire de limiter la disto dans le préamp mais de faire saturer sévèrement le poweramp, avec bien sur toutes les variations possibles entre ces 2 extrêmes !
Et la lumière fut...
Que les choses soient claires : face à Mike Soldano, dieu et Chuck Norris peuvent tout de suite aller se rhabiller, ils ne font pas le poids !
Le SLO-100, qui a fait la renommée de la marque depuis sa sortie en 1987, est un ampli particulièrement bien construit, la plupart des guitaristes n'ont d'ailleurs pas assez de reins pour espérer se le payer un jour... Mais surtout, il a été tellement repompé qu'il est à la base de 99 % des amplis high gain sur le marché ! Les miens ne dérogent d'ailleurs pas à la règle et s'inspirent très fortement de ce schéma :
Là, il y a déjà un peu plus de monde ! Mais après tout, cet ampli a 2 canaux switchables et intègre une boucle d'effets, c'est donc totalement logique. Si on ne garde que le canal lead, voici ce que ça donne :
Et donc, qu'est-ce qui rend cet ampli si spécial ? Tout d'abord, la différence qui saute aux yeux par rapport au JCM800 est le nombre d'étages de gain : il y en a 4. Après être passés de 2 à 3 étages de gain entre le Plexi et le JCM800, on monte donc encore d'un cran, pour plus de distortion, plus de compression et plus de sustain !
Hormis cette différence (et l'absence d'entrée "Low", rendue inutile par le canal clean/crunch), on retrouve dans les grandes lignes la structure du JCM800, avec pas mal de détails similaires, comme autour du potar de gain :
Comme sur le JCM800, on a un high shelf suivi du potar sur lequel on a greffé un condo de "bright".La réponse en fréquence est toutefois un peu différente :
- le high shelf atténue de -6dB jusqu'à 145Hz, il n'agit donc que sur les basses et laisse les bas-mediums intacts
- le bright agit au-dessus de 3kHz avec le potar à moitié, donc bien plus haut que sur le 800
À ce stade, le son est donc un peu plus plein et moins agressif sur le SLO qu'avec son prédécesseur.
Mais le véritable coup de génie se trouve sur l'étage suivant :
En entrée de V2A, rien de bien spécial, on atténue juste le signal de -3.5dB pour ne pas attaquer trop fort cet étage. Le condensateur C20 en sortie de cet étage, par contre, est particulièrement intéressant !
On peut déjà noter que le gain de V2A est particulièrement faible par rapport aux valeurs habituelles, et une sensibilité élevée. En fait c'est un peu abusif, car cette sensibilité max n'est atteinte que sur la partie positive, la partie négative du signal a beaucoup moins de marge et va saturer assez franchement. Cet étage de gain nécessiterait un article à lui seul pour en expliquer tous les tenants et les aboutissants, mais le fait que la saturation affecte surtout l'alternance négative est fondamentale dans le son de cet ampli : une telle saturation génère énormément d'harmoniques paires, au contraire du "clipping" sur l'alternance positive, qui fait la part belle aux harmoniques impaires !
Pour revenir à C20, il faut savoir que l'impédance de sortie d'un étage de gain à lampe est passablement élevé, de quelques dizaines à plusieurs centaines de kΩ ! Cette impédance de sortie forme donc avec C20 un filtre passe-bas assez violent, la fréquence de coupure se situant entre 1 et 2kHz. La plupart des aigus sont donc bouffés à ce niveau, et à vrai dire, si le préamp s'arrêtait après V2A, le son du SLO serait particulièrement terne et sourd !
Heureusement, il reste un dernier étage de gain ! Le signal étant tout de même un peu amplifié par V2A, celui-ci va saturer assez fortement. En saturant, une lampe génère un gros paquet d'harmoniques, qui sont en fait des multiples de la fréquence du signal d'origine, et ont donc une fréquence plus haute ; c'est en fait de là que viennent les aigus de cet ampli ! D'une certaine façon, on peut dire qu'on supprime les aigus pour en recréer de nouveaux via la saturation de V2B... Faut reconnaitre que le concept est quand même couillu !
Dernier point remarquable autour de V2B, on notera que la résistance de l'EQ, R50, a une valeur un peu plus élevée que chez Marshall, ce qui donnera donc un ampli un peu moins génereux dans le bas-medium.
Enfin, il reste un détail qui n'apparait pas sur le schéma : le gain de V1A, V1B et V2B n'est pas constant sur toute la plage de fréquences. Il est en effet inférieur au gain indiqué de quelques dB en-dessous de 350Hz environ. C'est aussi une pratique courante dans le high gain : si on veut un son qui reste précis, pas trop baveux, il faut limiter la saturation dans les graves, et donc moins les amplifier que les autres fréquences.
De grands malades
Le dernier ampli présenté dans ce post est l'oeuvre d'une bande de tarés ! Vraiment, je ne comprendrai jamais ce qui est passé par la tête des concepteurs du 5150, et je ne veux pas savoir quels produits ils prenaient en travaillant, mais de toute évidence c'était de la bonne ! Sérieusement, comment quelqu'un de sain d'esprit pourrait se dire que finalement, les 4 étages de gain du SLO, c'est pas assez, il faudrait en rajouter 2 ?
Parce que oui, le canal lead du Peavey 5150 et de ses rejetons (Peavey 6505, EVH 5150) a 6 étages de gain les uns derrière les autres ! Et le pire, c'est que ça fonctionne !
Là c'est vraiment le bordel, en particulier au niveau de l'étage d'entrée et de l'EQ, donc ça va faire du bien de le redessiner :
On y voit déjà mieux ! Et on voit aussi tout de suite que le 5150 est lui aussi un héritier du SLO100 : jusqu'à V2B, les 2 préamplis sont presque totalement identiques ! On notera une petite différence autour du potar de gain, qui passe à 1MΩ et sur lequel viennent se greffer 2 résistances, R4 et R5. J'avoue avoir du mal à comprendre l'intérêt de cette modification, qui va simplement modifier la course du potar, tout en faisant croire au circuit en amont que la valeur du potar est de 500kΩ environ, tout comme pour le SLO-100. Bref, à mon avis l'intérêt est limité et un bête potar de 500kΩ fait très bien l'affaire.
Par contre si on prend la partie inférieure du schéma, on y voit quelques trucs intéressants :
D'abord, en sortie de V2B, le signal est atténué de 21dB à cause du pont diviseur formé par R30 et R31, il n'attaque donc pas V3A aussi fort qu'on aurait pu le penser. Cet étage de gain apportera donc une légère saturation supplémentaire, sans tordre trop violemment le signal.
Le montage autour de V3B est aussi très intéressant, puisqu'on peut voir une contre-réaction : le signal de sortie est réinjecté dans l'entrée de cet étage via R42. Comme il est inversé par rapport au signal d'entrée (pas de panique, je t'expliquerai pourquoi dans un prochain article), les 2 signaux se soustraient, diminuant ainsi la sensibilité de V3B. En s'amusant un peu avec la loi des mailles, on se rend compte que le signal réellement disponible à l'entrée de V3B a ainsi été atténué d'environ 28dB par rapport à ce qui sortait de V3A ! Comme pour V3A, cet étage ne fait donc qu'ajouter une légère saturation supplémentaire.
Sur cet ampli, l'essentiel de la saturation provient donc, comme sur la plupart des descendants du SLO, des 4 premiers étages de gain. Les 2 suivants n'ajoutent que peu de distortion, ce qui est suffisant pour obtenir le fameux croum-croum de cet ampli (oui, j'ai bac+15 en onomatopées) et, accessoirement, en faire un ampli avec 1000 fois trop de distortion : difficile de dépasser 2-3 au potar de gain avec des micros modernes ! Le point positif, c'est que même les micros les plus anémiques du monde pourront sonner gros, et c'est ce qui permet à certains métalleux de jouer avec une Telecaster en ayant tout de même un son énorme ;)
Enfin, dernier point notable de ce circuit, le montage constitué par R43, R44, R45 et C42 est intéressant à étudier : on a ici un mix de pont diviseur et filtre passe-bas, on va donc s'intéresser au comportement des fréquences graves et aigues :
- Pour les graves d'abord, C42 se comporte comme un interrupteur ouvert : rien ne passe ! On a donc un simple pont diviseur entre R43 et R45, soit une attenuation de 24dB
- Pour les aigus, C42 se comporte comme un fil, R44 et R45 sont donc en parallele et leur resistance equivalente vaut 19.4kΩ. Le pont diviseur formé avec R43 atténue donc le signal de 28dB en haut du spectre
Bingo ! Ce montage est donc un filtre passe-bas à plateau, ou encore low shelf pour nos amis anglophones, qui booste les basses de 4dB par rapport aux aigus ! Si on veut trouver la fréquence "charnière" de ce filtre, il faut trouver la "fréquence de demi-boost" (ou demi-atténuation, c'est pareil mais plus long à écrire) ; l'appellation n'est certes pas très académique, mais elle exprime bien ce qu'on cherche : la fréquence pour laquelle l'atténuation du montage est à mi-chemin entre 24dB et 28dB, soit 26dB.
On a donc un pont diviseur constitué de R43 et d'une impédance Z inconnue, dont l'atténuation est de 26dB, ce qui correspond à une division du signal par 19.95. On a donc :
$$\frac{470 + Z}{Z} = 19.95, soit\, Z = 25k\Omega$$
L'impédance équivalente du circuit formé par C42, R44 et R45 est donc égale à 25kΩ à la fréquence de demi-boost. Vu le circuit, on voit que Z est l'impédance équivalente à (Zc + R44) en parallèle de R45, ce qui nous donne :
Je t'épargne la suite des calculs, mais in fine on peut en déduire que Zc vaut 56kΩ à la fréquence de demi-boost, qui vaut donc 280Hz. C'est donc tout l'extrême grave ainsi qu'une partie des bas-mediums qui paraissent boostés par ce circuit, ce qui est un des éléments qui permettent au 5150 de sonner aussi gros.
Au passage, on notera qu'avec une atténuation de plus de 20dB, suivie de l'atténuation liée à l'EQ, le signal est finalement très faible et aura énormément de mal à faire saturer le poweramp. Et ça tombe plutôt bien, la saturation de puissance n'étant pas vraiment adaptée si on veut garder un son précis, il faut que tout se passe dans le préamp, comme c'est le cas ici.
Ouf !
J'ai fini par venir à bout de cet article ! Il aurait sans doute fallu parler de la théorie des lampes avant de se lancer dans un tel chantier, mais je ne voulais pas rentrer trop dans la technique pour ce sujet... J'espère avoir réussi à expliquer des choses intéressantes pour tout le monde, mais il y a forcément des simplifications un peu bourrines pour m'éviter de rentrer trop dans les détails théoriques, je demande donc aux érudits de bien vouloir me pardonner ;)
Le sujet étant particulièrement vaste, j'aurai de toutes façons l'occasion d'y revenir, en proposant par exemple des études de circuit assez poussées, qui seront étalées sur plusieurs articles pour me permettre de me concentrer sur un seul ampli pendant plusieurs semaines.
En attendant, comme toujours, les commentaires sont les bienvenus, que ce soit pour m'indiquer si cet article vous a plu ou non, apporter quelques critiques constructives ou pour corriger des erreurs que j'aurais pu commettre !
À bientôt !