L'émission thermoionique
15 Apr 2016
Photo © arbyreed - Licence CC BY-NC 2.0
Cette fois, ça y est, c'est parti ! On va enfin attaquer du lourd, du sérieux, du passionnant (ou du moins, je l'espère !). Cet article est donc le premier volet d'un cours complet sur l'amplification à lampes, qui mettra plus particulièrement l'accent sur les applications à la guitare (et à la basse).
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je te propose donc de commencer par un petit historique de la genèse des tubes électroniques.
Atomes, électrons et courant
Comme tu le sais sans doute, toute la matière est constituée d'atomes : de tous petits machins qu'on ne peut évidemment pas voir à l'oeil nu, puisqu'ils ont une taille de l'ordre de 0.0000001mm (oui, c'est très petit !), mais qui composent néanmoins absolument toute la matière.
Et ces atomes sont eux-mêmes constitués de machins encore plus petits, et en particuliers ceux sur lesquels on va s'attarder : les électrons. Ceux-ci ont deux caractéristiques extrêmement intéressantes :
- ils possèdent une charge électrique négative
- ils peuvent quitter leur atome d'origine pour aller parcourir le vaste monde
Ce n'est bien sur pas un hasard si les mots électron et électricité se ressemblent furieusement, puisque le déplacement des électrons est la définition même d'un courant électrique tel que nous le connaissons et l'utilisons chaque jour ! Évidemment, tous les électrons ne peuvent pas décider de se barrer comme ça, sur un coup de tête, ils doivent (entre autre) appartenir à un atome qui le permette ; c'est le cas pour tous les matériaux conducteurs, et en particulier les métaux.
Par ailleurs, un électron ne fait pas ce qui lui chante quand il quitte un atome : on dit souvent que les opposés s'attirent, et cet adage est tout à fait vérifié à l'échelle atomique ! Les électrons, avec leur charge négative, vont donc chercher à rejoindre une charge positive, histoire de ramener l'équilibre dans la for... bref, l'équilibre, quoi !
Aux origines de l'émission thermoionique
L'histoire commence en 1873 sur les terres de la perfide Albion. D'ailleurs, à l'époque on ne savait même pas que les électrons existaient, puisque ceux-ci ne seront découverts qu'en 1897...
En 1873, donc, le professeur Frederick Guthrie s'amusait avec des sphères en fer, notamment en les chauffant au rouge. Il s'aperçut alors qu'une sphère chargée négativement avait tendance à perdre sa charge, alors qu'une sphère chargée positivement la conservait :
- vu de la sphère chargée négativement, l'air semble posséder une charge positive ; les électrons aimant positiver, ils ont donc tendance à quitter la sphère pour aller se répandre dans l'air (qui est un très mauvais conducteur, mais un conducteur quand même)
- au contraire, vu de la sphère chargée positivement, l'air semble posséder une charge négative ; les électrons préfèrent donc, dans ce cas, rester au chaud, et la sphère conserve sa charge
Guthrie avait ainsi mis en évidence l'émission thermoionique, qui désigne le fait qu'un métal (ou oxyde métallique) émet des électrons, cette émission étant amplifiée sous l'effet de la chaleur.
Pendant ce temps, à Vera Cruz...
Ou plutôt, à Menlo Park, dans le New Jersey, le jeune Thomas Edison expérimentait avec l'électricité. Il finit notamment par inventer l'ancêtre de nos platines vinyles, le phonographe, avant de s'intéresser aux lampes à incandescence (les mêmes qu'on utilise toujours pour s'éclairer).
Au cours de ses expérimentations, Edison a construit une ampoule dont la surface interne était recouverte d'une feuille d'étain. Il put ainsi constater que :
- si la feuille d'étain était portée à une tension positive par rapport au filament, un courant circulait entre ces deux électrodes, dont l'intensité augmentait avec la tension de la feuille d'étain
- si, au contraire, la feuille d'étain était portée à une tension négative, aucun courant ne circulait
On retrouve là le principe de l'émission thermoionique ! Edison venait alors de poser les bases des premiers tubes électroniques :
- une enveloppe en verre dans laquelle on faisait le vide
- un filament, chauffé en appliquant une tension à ses bornes, faisant office d'électrode émettrice
- une électrode réceptrice, qui est ici la feuille d'étain
En bon businessman qu'il était, il breveta son invention en 1883, mais ne lui voyant aucune application pratique, il finit par ne plus s'y intéresser. Il faudra donc patienter encore un peu avant de voir apparaitre les premières applications pratique de sa découverte, et par conséquent, les premiers tubes électroniques commerciaux...
Les premiers tubes
La diode à vide
Ce n'est qu'une vingtaine d'années plus tard que quelqu'un, en l'occurrence le physicien anglais John Ambrose Fleming, réalisera finalement l'intérêt du montage mis au point par Edison.
Au cours de recherches sur les ondes hertziennes, qui était un peu ZE sujet de recherche à la mode au début du XXe siècle, Fleming mis au point un détecteur d'ondes radio très largement inspiré du montage utilisé par Edison.
Prototypes et schéma de la diode de Fleming
Ce détecteur est constitué des éléments suivants :
- un filament en tungstène, faisant office à la fois d'élément chauffant et d'électrode émettrice (la cathode)
- un cylindre de tôle agissant comme électrode réceptrice, remplaçant ainsi la feuille d'étain d'Edison (l'anode)
- un enveloppe de verre sous vide pour contenir le tout
Il s'agit donc d'un dispositif à 2 électrodes, ce qui est la raison pour laquelle le physicien William Eccles lui donna le nom de diode. Aujourd'hui, les diodes courantes, fabriquées à partir de matériaux semi-conducteurs comme le silicium, ont une structure très différente. Celles qui sont encore fabriquées selon les principes de la diode de Fleming sont donc appelées diodes à vide.
Mais au fait, pourquoi le montage doit-il être sous vide ? Tout simplement parce que les électrons, pressés qu'ils sont d'aller s'écraser sur l'anode, vont quand même passablement vite (on parle là de plusieurs millions de m/s !). Du coup, s'ils venaient à percuter, par exemple, une molécule d'air, ça ferait -- littéralement -- des étincelles ! Donc, pour laisser le champ libre aux électrons, il faut absolument éviter de laisser trainer des molécules au milieu, et donc placer le tout dans un vide d'air très poussé.
Caractéristiques de la diode à vide
Si tu as quelques souvenirs de tes cours de physique au collège, tu sais déjà comment doit fonctionner une diode : elle permet le passage du courant dans un sens (de l'anode vers la cathode), et le bloque dans l'autre sens (de la cathode vers l'anode).
Alors évidemment, si tu as suivi les paragraphes précédents, tu te dis que non, le courant passe de la cathode vers l'anode, et pas l'inverse ! Eh bien non, parce que les conventions de la physique font que le courant "s'écoule" des hautes tensions vers les basses tensions, tandis que les électrons font exactement l'inverse. Alors oui, cette convention a une bonne raison d'être, mais tu m'accorderas que ça ne simplifie pas les choses... Pour la suite, retiens donc que les électrons nagent toujours à contre-courant !
Si la cathode est portée à un potentiel supérieur à celui de l'anode (tension négative aux bornes de la diode), le courant ne peut donc pas passer, puisqu'il ne peut circuler que de l'anode vers la cathode. Si la tension aux bornes de la diode est positive par contre, cela signifie que le potentiel de l'anode est supérieur à celui de la cathode, et que le courant peut donc s'écouler librement.
Note : si tu as mal au crane, c'est normal, ça fait toujours ça au début ! Mais ces notions d'anode, cathode et sens du courant sont absolument fondamentales pour la suite, donc n'hésite pas à y revenir à tête reposée ;)
Une diode idéale (c'est à dire conforme à la théorie) a donc une caractéristique intensité-tension de cette forme :
Caractéristique d'une diode idéale
On voit bien que :
- dans la 1ère moitié de la caractéristique (tension négative), aucun courant ne passe, on retrouvera donc aux bornes de la diode la tension qu'on applique à sa cathode
- la courbe change ensuite de direction : le courant circulant librement, il n'y a aucune différence de potentiel entre les 2 électrodes, la tension à ses bornes est donc nulle
Bien sur, en physique on ne colle jamais totalement à la théorie, et encore moins avec les diodes à vide, dont voici un exemple de courbe caractéristique :
Caractéristique réelle d'une diode GZ34
Cette courbe ne montre pas les tensions négatives, tout simplement parce que de ce côté, il n'y a rien de particulier à noter : le courant ne passe pas, point.
Par contre, tu noteras qu'on est loin, très loin de la caractéristique idéale dans laquelle le courant circule librement, sans qu'il y ait de tension aux bornes de la diode ; en clair, il y aura toujours une chute de tension non négligeable dans une diode à vide, cette chute dépendant du courant la traversant. La caractéristique étant plus ou moins linéaire, on peut assimiler cette perte à celle qui pourrait être causée par une résistance. On peut donc modéliser une diode à vide de la façon suivante :
La valeur de la résistance dépendra du modèle exact de tube : dans l'exemple de la GZ34, on peut tabler sur une valeur d'environ 80 à 100 ohms, alors qu'on atteindra les 180 ohms pour une 5U4.
Utilisation des diodes à vide
Bien qu'initialement mises en oeuvre pour la détection des ondes radio, les diodes ont, dans un amplificateur audio, une toute autre fonction : celle du redressement. En effet, la tension alternative fournie par le secteur doit être convertie en tension continue, nécessaire au bon fonctionnement d'un ampli.
Redressement simple et double alternance
Une tension alternative "standard" étant parfaitement symétrique, la tension moyenne est nulle. Si on veut augmenter celle-ci, il suffit donc de supprimer les alternances négatives : la tension ne pouvant être que positive ou nulle, la tension moyenne sera forcément positive.
Pour cela, il suffit d'insérer une diode sur une des branches (et de relier l'autre branche à la masse), l'anode étant positionnée côté générateur (la source de tension alternative) : la diode laissera circuler le courant sur les alternances positives et le bloquera sur les alternances négatives. On parle alors de redressement simple alternance.
Redressement simple alternance
La figure ci-dessus présente le schéma d'un redressement simple alternance, avec la tension aux bornes du transformateurs (en bleu) et celle en sortie de redresseur (en rouge).
L'inconvénient majeur de ce système est qu'on perd la moitié des alternances ! Si, maintenant, on inverse les connexions aux 2 branches de la source, c'est à dire que la branche "supérieure" sera reliée à la masse quand la branche inférieure est connectée à la diode, on observe le phénomène suivant :
Redressement simple alternance inversé
Eh oui, la courbe reste la même, mais légèrement décalée puisque dans ce cas, les alternances positives et négatives sont inversées. On peut donc combiner ces 2 montages, afin de doubler le nombre d'alternances "utiles" en sortie, on parlera alors de redressement double alternance :
Redressement double alternance
Le résultat est évidemment bien meilleur qu'en redressement simple alternance, mais la tension obtenue varie encore énormément, et il est difficile à ce stade de parler de tension continue...
Note : pour garder la même amplitude en sortie de redresseur, il faut doubler la tension par rapport au redressement simple alternance : en effet, chaque alternance est redressée par une moitié du transfo. Chacune de ces moitiés doit donc fournir l'intégralité de la tension nécessaire ; le transfo complet n'étant que l'association en série des ces 2 moitiés, les tensions qu'elles fournissent s'ajoutent, et la tension totale aux bornes du transfo est donc doublée.
Un mot sur le filtrage
Il convient donc de filtrer cette tension pour la transformer en tension continue : c'est le rôle des condensateurs.
En effet, un condensateur agit comme un réservoir à électrons : lorsqu'on lui applique une tension, il se remplit jusqu'à ce que la tension à ses bornes soit égale à la tension d'origine. Si on enlève ensuite la tension appliquée, les électrons accumulés vont passer dans le reste du circuit, et le condensateur va donc se vider progressivement, jusqu'à avoir à ses bornes une tension nulle si on le laisse se vider suffisamment longtemps.
Le temps que mettra le condensateur pour se remplir ou se vider est défini par un paramètre nommé constante de temps, qui dépend à la fois des caractéristiques propres du condensateur, et du circuit dans lequel celui-ci est placé : en effet, c'est le circuit qui limite le courant qui pourra être utilisé lors de la charge du condensateur, ainsi que celui qui sera généré lors de la décharge.
Charge et décharge d'un condensateur avec différentes constantes de temps : en bleu, la tension appliquée au condensateur ; en rouge, la tension réelle à ses bornes
Un condensateur est défini par 2 paramètres principaux :
- sa capacité, exprimée en Farads (symbole F) ; on peut l'assimiler au diamètre d'un réservoir d'eau : plus celui-ci est grand, plus il contiendra d'électrons pour un niveau (une tension) donné. En contrepartie, il sera plus long à remplir.
- sa tension de service admissible, exprimée en Volts ; c'est la hauteur du réservoir, autrement dit la tension jusqu'à laquelle on peut le remplir. Si on essaie de remplir le réservoir au-delà, ça déborde... Ou plutôt, dans le cas d'un condensateur, ça peut exploser ! Donc attention à ne jamais dépasser la tension admissible d'un condensateur !
Si on installe un condensateur en sortie de notre montage, la tension présente en sortie du redresseur sera appliquée au condensateur, et permettra donc de "remplir" (charger) celui-ci pendant sa phase ascendante. Arrivée au maximum, cette tension va diminuer alors que le condensateur est totalement chargé. Celui-ci va donc alimenter notre circuit en se déchargeant progressivement, faisant ainsi diminuer la tension à ses bornes, jusqu'au moment où la tension en sortie de redresseur lui redeviendra supérieure. Recommencera alors un cycle de charge/décharge, et ainsi de suite.
Tension aux bornes du condensateur (en rouge)
On retrouve donc, aux bornes du condensateur, une tension qui commence à ressembler à une tension continue ! Mais ne rêve pas, on ne pourra jamais obtenir ainsi une tension parfaitement continue : il restera toujours une petite ondulation résiduelle, le but étant justement de trouver le meilleur compromis entre l'efficacité du filtrage (avoir une ondulation minimale) et le coût et l'encombrement de celui-ci (un meilleur filtrage nécessite de plus gros condensateurs, qui sont également plus chers).
En l'occurrence, la valeur de cette ondulation est déterminée par 2 facteurs :
- le courant consommé par le circuit : plus celui-ci est important, plus le condensateur se vide rapidement, et donc plus l'ondulation est importante
- la capacité du condensateur : plus elle est importante, moins la tension aux bornes du condensateur (le niveau dans le réservoir) diminue rapidement, et donc moins l'ondulation est importante ; par exemple, si tu vides une bonbonne de 10L avec un débit de 1L/s, il ne restera que 8L au bout de 2 secondes, soit une diminution de 20%. Par contre, si tu tentes la même expérience avec une piscine olympique, le niveau de celle-ci ne bougera pas (du moins, rien de perceptible)
Comme on ne peut pas agir sur le courant consommé par le circuit, il faut donc choisir pour notre condensateur la capacité adaptée à ce circuit. En règle générale, on utilisera des valeurs de 10µF à 100µF pour les montages à tubes, qui fonctionnent sous une tension importante et un courant relativement faible (de l'ordre de la centaine de mA). A contrario, les amplis à transistors fonctionnant sous de plus faibles tensions, ils drainent un courant beaucoup plus important, et ont donc besoin de condensateurs de plusieurs dizaines de milliers de µF.
Enfin, tu auras peut-être remarqué que dans tous les cas, le condensateur passe beaucoup de temps à se décharger, pour un temps de charge très limité. Or la consommation du circuit est généralement constante, ce qui signifie que le condensateur doit fournir en permanence la même quantité d'électrons au circuit, qu'il soit en train de se charger ou de se décharger. Il est donc indispensable que la quantité d'électrons que le condensateur va stocker pendant la phase de charge soit identique à la quantité qu'il va restituer en phase de décharge. En clair, si le condensateur se charge durant 20% du temps, et se décharge durant les 80% restants, le courant de charge devra être 5 fois supérieur au courant de décharge !
Courant de charge du condensateur (vert) en redressement double alternance
On voit bien, sur la figure ci-dessus, que le transfo ne fournit pas un courant constant, mais qu'il est au contraire sollicité par intermittence, afin de fournir un courant important sur de très courtes périodes de temps. Ce courant traverse aussi le redresseur, ce qui, on le verra dans le prochain article, n'est pas sans conséquences...
Vers un "meilleur" filtrage
Je ne vais pas trop détailler ce point pour l'instant, mais sache qu'on peut enrichir le filtrage en plaçant une bobine (également appelée self) en sortie du redresseur. Cette topologie modifie très nettement le comportement du circuit de filtrage, et particulièrement l'évolution du courant le traversant.
En effet, un condensateur a tendance à s'opposer aux variations de tension, comme le montrent les courbes de charge et décharge ci-dessus : le tension à ses bornes ne varie jamais brusquement, mais de manière très progressive et sans discontinuité. Eh bien, on retrouve le même principe pour la self, mais appliqué au courant cette fois : au lieu de se retrouver avec de forts appels de courant à chaque charge du condensateur, il augmentera et diminuera progressivement.
Ce comportement signifie que, finalement, le courant traversant le redresseur restera plus ou moins constant lui aussi, avec une valeur correspondant à la consommation moyenne du circuit. Les fortes impulsions visibles avec un condensateur seul en sortie de redresseur sont donc largement gommées, limitant ainsi le stress appliqué au redresseur ainsi qu'au transformateur.
Évidemment, l'utilisation d'une self a aussi ses inconvénients, mais ceci est une autre histoire...
That's all, folks !
J'espère que ce premier article t'aura été utile. Il reste évidemment beaucoup à dire sur ce sujet, en particulier sur la conception d'une alimentation : je n'ai fait ici que présenter les concepts de base du redressement et du filtrage, nécessaires à la compréhension du sujet, mais j'y reviendrai en détails dans quelques mois, avec un ou plusieurs chapitres dédiés exclusivement aux alimentations des amplis à tubes.
Il me reste également pas mal de points à affiner sur la forme, notamment la longueur des articles. Donc n'hésite pas à me dire si tu as trouvé celui-ci trop court ou trop long, correctement illustré ou non, etc... Ces retours m'aideront grandement à adapter le format au fil du temps, afin que ce blog réponde au mieux à tes attentes ;)
En attendant, je retourne à mon prochain article, qui sera tourné davantage vers la pratique. On en profitera donc pour causer datasheets, caractéristiques et "bonnes pratiques", histoire de bien comprendre comment choisir et mettre en oeuvre une redresseuse dans un ampli.