Conception et réalisation d'un préampli (1/3)
31 Jan 2019
Photo © Bee Collins - Licence CC BY-NC-SA 2.0
Aujourd'hui, point de théorie, mais du concret ! En effet, je te propose de suivre la conception et la fabrication d'un préampli à lampes depuis la génèse du projet, jusqu'au "produit" fini. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, un peu de background
Le contexte
Je ne me suis pas mis à fabriquer des amplis guitare par hasard : à mon petit niveau, je suis aussi musicien, et bien que j'aie mis tout ça de côté pendant un moment, il est temps de s'y remettre.
Le concept est relativement simple : du gras, du gras, et encore du gras ! Dans le metal par exemple, on voit quantité de guitaristes avec des instruments à 7, 8 cordes ou plus, accordés parfois une octave complète en-dessous de celui d'une 6-cordes normale. Côté stoner ou hardcore, même si on ne descend pas si bas, les accordages sont tout de même bien portés sur les graves.
Donc pourquoi ne pas faire tout ça avec une basse ? Et surtout, que mettre dans la chaîne sonore pour avoir un bon rendu même avec une grosse saturation ?
Le projet
Le 1er objectif, ici, est donc d'avoir un son de basse fortement saturé qui reste assez propre et intelligible pour être utilisé en groupe. (Au passage, ça devrait en faire quelque chose de tout à fait intéressant pour un guitariste amateur d'accordages bien bas )
Ensuite, viennent les contraintes personnelles :
- je n'ai aucune idée de ce que va donner ce projet musical, donc je veux éviter de trop investir : moins c'est cher, mieux ce sera ! Et si je peux n'utiliser que des pièces que j'ai déjà en stock, c'est encore mieux !
- j'ai déjà une tête basse tout lampes de 200W, et clairement, je n'ai pas envie de balader ses 25 kgs (sans parler du baffle !) en répète/concert ; idéalement, j'aimerais que toute la chaine d'amplification puisse tenir dans un sac à dos
Ces contraintes éliminent d'office les lampes pour l'ampli de puissance, je partirai donc sur un setup avec un ampli classe D pour la partie puissance (petit, léger et pas cher), auquel j'ajouterai un préampli à lampes de ma fabrication (on n'est jamais mieux servi que par soi-même, parait-il), que je voudrais le plus compact et léger possible. Dans cette optique, je prévois donc de l'intégrer à un boitier half-rack (1/2 rack 19") que j'ai en stock, et que tu trouveras chez Tube-Town.
Le boitier choisi pour ce projet
Son
Tu l'auras compris, l'enjeu principal au niveau sonore sera la saturation. Quelques essais sur mes amplis guitare m'ont permis de me faire une bonne idée de ce que je peux obtenir, et surtout de comment modifier mes circuits pour que le rendu avec une basse reste bon.
Tout d'abord, il faut savoir que saturer les fréquences graves donne souvent une belle bouillie sonore. De fait, quasiment tous les amplis guitare ayant un canal high gain filtrent plus ou moins fortement les basses en entrée de préamp :
- Avec un SLO100, on a un filtre qui atténue les basses de -6 dB en-dessous de 150 Hz ; en plus, la polarisation des étages de gain ajoute un autre filtre similaire qui limite de quelques dB l'amplification des basses sous 200 Hz
- Sur les 6505 et 5150-III (mais pas le 5150 premier du nom), il y a carrément un coupe-bas qui supprime les fréquences inférieures à 630 Hz, soit toutes les basses et les bas-mediums !
Il faudra donc, pour ce projet, bien écrémer les basses en début de préamp. Mais comme elles restent les fréquences principales de l'instrument, il faut trouver un moyen d'en rajouter au signal de sortie ; je pense donc utiliser un circuit clean, parallèle au préamp high gain, qui sera mixé avec le signal saturé à la sortie du canal.
Un autre point important est la fréquence à laquelle creuser les mediums. Parce que oui, un EQ d'ampli guitare ou basse, avec tous les contrôles à midi, a un creux dans les mediums, la fréquence de celui-ci déterminant en grande partie la personnalité de l'ampli :
- un Fender Blackface aura ce creux autour de 500 Hz, laissant peu de bas-mediums mais beaucoup de haut-mids, donnant ce son caractéristique, un peu froid, mais brillant et cristallin
- sur un Marshall, les mediums seront creusés autour de 750 Hz, ramenant ainsi beaucoup de ces bas-mediums qui font la chaleur du son, et définissent maintenant en grande partie le fameux son british
Courbe de réponse de l'EQ d'un Fender Blackface (tous les contrôles à midi)
Pour ce projet, je vais faire le choix de m'orienter vers un son moderne, pas trop chargé en bas-mediums, avec une fréquence centrale de 600 Hz environ.
Il y aura enfin un canal clean très basique, rond et chaud, sur lequel je m'attarderai une fois que je serai satisfait du circuit lead.
Contrôles
Comme il y aura 2 canaux, j'ai besoin à minima d'un contrôle de volume par canal, auquel s'ajoutera un contrôle de gain pour le canal saturé. Sur ce même canal, il y aura bien sur le réglage que je nommerai Blend, permettant de rajouter des basses clean au signal saturé, comme je l'ai évoqué un peu plus haut, ce qui nous fait un total de 3 contrôles pour l'instant.
J'ai pensé pendant un temps ajouter également un canal crunch, ce qui aurait multiplié le nombre de contrôles nécessaires, et j'ai finalement opté pour un compromis : sachant que qui peut le plus peut le moins, le canal lead pourrait aussi faire office de crunch ; il suffit de rajouter un contrôle de gain dédié au crunch, et on pourra ainsi régler au choix un son high gain, un son crunch, ou un mix des deux. L'idée me parait particulièrement intéressante pour la basse, puisque le crunch n'aurait pas besoin de tailler autant dans les fréquences graves .
Enfin, reste à régler la question de l'EQ ! Étant donné la place limitée en façade, je choisis de mettre un simple réglage de Tone sur chaque canal (clean & satu). Oui, mais pas n'importe lequel ! Les Tone classiques, tels qu'on les retrouve sur les guitares ou les vieux amplis (Fender Tweed, Silvertone, Danelectro etc...) ne font que manger des aigus et ne permettent donc pas de sculpter réellement le son ; sans oublier que, contrairement aux EQ 3 bandes, ils n'ont pas ce creux dans les mediums, si important pour la personnalité de l'ampli.
J'opte donc pour un Tone façon Big Muff, dont la courbe de réponse est particulièrement intéressante :
Tone Big Muff à 0 (bleu), 2 (vert), 5 (jaune), 8 (orange) et 10 (rouge)
On voit bien qu'à midi (en jaune), on a bien un creux dans les mediums ; il est ici centré sur 1 kHz, mais en modifiant les valeurs des composants utilisés, on peut facilement le déplacer vers une fréquence plus adaptée. Ensuite, le fonctionnement de ce réglage permet une grande efficacité dans les corrections de tonalité, puisqu'il va réellement agir sur l'ensemble du spectre.
J'intègrerai donc un Tone pour le lead, avec une fréquence centrale d'environ 600 Hz, et un autre pour le clean, pour lequel j'envisage une fréquence centrale de 750-800 Hz, afin de rendre ce canal plus chaud.
Architecture
Là encore, commençons par le canal lead, puisque c'est en quelque sorte l'élément central de ce préamp.
Pour obtenir un niveau de gain suffisant, il me faut 4 étages de gain en cascade, soit 2 12AX7 (les autres 12A*7 ont un gain moindre, elles ne m'intéressent donc pas pour ce projet). Le gain lead serait placé en sortie du 1er étage et enverrait le signal dans l'étage 2, lui-même alimentant le 3 puis le 4. Le gain crunch serait placé en parallèle du gain lead, et enverrait le signal directement à l'étage 4, à l'entrée duquel le mix avec le signal lead sera fait.
Pour le canal clean, il me faudrait 2 étages de gain, soit une autre 12AX7, et encore une pour le circuit de Blend, ce qui commence à faire beaucoup pour un si petit boitier...
Comme je n'en suis plus à une hérésie près, je préfère donc m'orienter vers une solution hybride :
- toute la saturation sera assurée uniquement par des lampes, soit 2 12AX7
- les autres parties du circuit ayant besoin uniquement d'une amplification linéaire (du clean, quoi) et de quelques buffers, j'utiliserai des transistors, et même probablement des AOP (amplificateurs opérationnels) à entrée J-FET, qui ont l'avantage d'être simples à mettre en oeuvre, peu couteux, avec une impédance élevée en entrée et faible en sortie
Pour le canal clean, il me faudra donc un AOP : celui-ci aura pour but d'amplifier légèrement le signal (autour de +10 dB) pour compenser l'atténuation causée par le Tone, tout en servant de buffer d'entrée pour ce canal.
Côté lead, le Blend nécessitera un AOP , qui servira de buffer d'entrée ; un autre pourrait être utilisé comme sommateur entre le signal issu du circuit de saturation et celui issu du circuit Blend.
Enfin, afin d'attaquer sereinement un ampli de puissance derrière (ou éventuellement des pédales d'effet), il faudra un dernier AOP qui servira de buffer, ce qui porte leur nombre total à 4. Afin de bien séparer les parties de circuit, je fais le choix d'utiliser des AOPs simples pour le clean et le buffer de sortie, et un double AOP uniquement sur le lead.
Les AOPs seront des Burr-Brown OPA134 (simple) et OPA2134 (double), ce qui tombe plutôt bien puisque j'ai exactement 2 OPA134 et 1 OPA2134 en stock (ce qui est, au fond, la vraie raison de mon choix d'utiliser un double et 2 simples, mais chut, c'est un secret ).
Enfin, pour switcher tout ça, j'utiliserai un bête relais 2RT, qui me permettra de sélectionner le canal en sortie de préamp, et de muter le canal lead quand le clean sera sélectionné : les lois de l'électromagnétisme sont telles que sans cette dernière action, le canal lead finit invariablement par repisser sur le clean, ce qui est bien, mais pas top...
Schéma-bloc du circuit envisagé
Alimentation
Pour finir, il va bien falloir alimenter tout ce beau monde, et en particulier bien gérer le fait que les AOPs seront alimentés en basse tension, alors que les tubes ont besoin de beaucoup plus et beaucoup moins à la fois.
Si tu as bien suivi, tu sais qu'il faut, pour qu'un tube puisse fonctionner, 2 tensions d'alimentation distinctes :
- la haute tension, qui alimente la partie amplificatrice du tube, et qui doit être de l'ordre de 200-300V DC
- l'alimentation du filament, pour le chauffage de la cathode, qui est généralement de 6.3V AC
En pratique, la tension de chauffage peut tout à fait être continue, l'alternatif étant plutôt utilisé par commodité : pour générer du 6.3V, on utilise un transformateur, qui ne fonctionne qu'en alternatif. Pour éviter d'avoir à redresser et filtrer la tension de chauffage, ce qui a un coût non négligeable, on préfère donc alimenter les filaments en alternatif. Par ailleurs, les filaments des 12AX7 peuvent aussi être alimentés en 12.6V (eh oui, sinon ce serait des 6AX7), tension très proche d'un standard assez répandu, à savoir 12V.
Tu l'auras donc sans doute compris, je fais le choix d'alimenter les AOPs et les filaments des tubes à l'aide d'une seule alimentation 12V DC.
Pour la haute tension, qui est pour moi la partie pénible de la conception d'un ampli, j'ai choisi cette fois de laisser parler ma flemme et d'utiliser un module convertisseur Buck-Boost, permettant de générer une haute tension continue à partir d'une basse tension, continue elle aussi :
Module NCH6100HV
Ce module doit être alimentée par une tension comprise entre 12 et 24V DC, qu'il convertit en une tension pouvant atteindre 235V DC, ce qui est parfait pour ce type de projet ! Attention toutefois à la consommation du montage : après avoir effectué quelques mesures, j'ai conclu qu'il ne fallait pas dépasser 3.5 mA, au-delà la tension s'effondre rapidement (seulement 180V pour une conso de 5 mA).
Autre avantage, il possède une broche SHDN (pour shutdown), permettant de désactiver la conversion de tension, on retrouve alors en sortie une tension proche de celle d'alimentation ; avec un circuit temporisateur (en gros, une résistance + un condo), on peut alors envisager d'implémenter un standby automatique, qui n'appliquerait la haute tension aux tubes qu'au bout de 30 secondes (je reste partisan de l'absence de standby, mais je trouve l'exercice amusant ).
À noter que j'ai acheté ce module sur un site chinois bien connu, pour un montant dérisoire (moins de 10€, frais de port inclus). Mon exemplaire est évidemment une copie bas de gamme, mais qui me suffira. D'après un test de ce même module, la version "originale" utiliserait des composants de meilleure qualité, permettant ainsi d'atteindre une conso supérieure à 20 mA sans chute significative de tension. Tu pourras trouver cette version sur un site polonais, mais les frais de port pour la France sont prohibitifs.
La suite
Voilà, on arrive au bout de la présentation de ce projet, il va maintenant falloir se mettre au boulot, en espérant que cet article t'aura permis de bien cerner le projet, et éventuellement d'apprendre quelques petites choses utiles au passage
Prochaine étape, le prototypage et la mise au point du canal lead (sans le Blend dans un premier temps), d'ici là, n'hésite pas à laisser un commentaire si tu as des questions et/ou remarques sur ce projet.
À bientôt !